« Bâtir un nouveau réseau » : l’art de la non méthode ou la meilleure manière d’aller dans le mur
Nous vivons actuellement en France une période troublée où le citoyen souhaite que ses attentes soient mieux prises en compte par l’exécutif dans ses orientations et décisions sociétales. Cela se traduit par une défiance jamais connue jusqu’ici des citoyens envers le politique et les décideurs publics.
Le président de la République, en réponse à cette situation, a lancé un grand débat national, dont l’une des thématiques traite de l’organisation de l’État. Les conclusions seront rendues au printemps.
La DGFiP, engagée dans une réflexion sur son organisation future dans le cadre du programme Action Publique 2022 depuis plusieurs mois, vient de faire l'objet de vives critiques par la Cour des Comptes (consulter le référé) à propos de la mission enregistrement, dont elle juge sévèrement le manque d'anticipation et de cohérence.
Selon la Cour, la mission a souffert d' « une conduite du changement défaillante (…) caractérisée par un manque d’anticipation des conséquences des décisions prises, un calendrier peu pertinent et la concordance, mal préparée, d’une réorganisation géographique et d’un changement du système d’information. »
Dans ce contexte tendu, nous aurions pu espérer que le Directeur général envisage un moratoire dans l'attente des conclusions du grand débat national et investisse dans une réelle conduite du changement.
Il n’en est rien ! En effet, la note de cadrage adressée aux directeurs en décembre en est la preuve concrète :
- précipitation : des propositions de réorganisations s'étalant sur trois ans à rendre pour mi-février !
- imprécision : des réorganisations basées sur un quantum de suppressions d'emplois « conventionnel »,
- déréliction : des directeurs livrés à eux-mêmes pour cet exercice très structurant.
Manifestement la DGFiP n’apprend pas de ses échecs ; elle renvoie l’image d’une administration hors sol et peu professionnelle.
Quel mérite pour nos collègues de Centrale qui doivent décliner les directives dans des conditions particulièrement compliquées pour les bureaux concernés. Il ne doit pas faire bon travailler dans ces bureaux qui doivent rendre opérationnelle une pensée bureaucratique totalement déconnectée.
Pour le SCSFiP, la méthode retenue est déraisonnable et inconsciente.
1. Occulter le volet RH dans la phase d’élaboration est une faute lourde
La première leçon d'un manuel d'accompagnement au changement c'est savoir identifier les freins au changement. Et quel est le premier frein ? l'humain !
Ainsi comment penser l'acceptabilité du projet global sans évoquer les conséquences pour tous les agents de la DGFiP, cadres supérieurs compris ?
Aucun dispositif d’accompagnement n’est encore précisément défini, et pour cause ! l’identification des points de difficultés est en cours avec l’aide des DDFiP de la Creuse et de la Corrèze.
Pire ! on découvre le traitement RH des projets au gré des groupes de travail. La parfaite illustration réside dans les documents remis pour le GT du 28 janvier 2019 traitant de la mise en place des agences comptables dans le SPL et le secteur hospitalier : on y apprend que la DGFiP envisage de détacher d’office pour 3 ans au sein des collectivités expérimentatrices les agents présents dans les postes comptables potentiellement concernés, sans possibilité de réintégration anticipée. Par contre, les comptables de ces structures ne bénéficieraient pas du même traitement, et au cas où ils ne seraient pas retenus pour être agent comptable de la collectivité, ils seraient reversés dans leur grade d’origine ! (la Direction générale n’a cependant pas fait valider ces orientations quant à leur faisabilité par le Conseil d’État).
La géographie revisitée voulue par le DG laissera sur le bord de la route de nombreux comptables, notamment IP et AFiPA, qui de facto seront repositionnés en surnombre sur des affectations administratives lesquelles seront régularisées au fil des mouvements. Nul besoin de longues explications pour imaginer les conséquences sur les mouvements de mutation !
Ne soyons pas dupes, cette reconfiguration aura pour autre incidence un moindre besoin de cadres qui se traduira par la réduction des volumes de promotions ! Le SCSFiP ne défend pas la constitution d'armées mexicaines de cadres mais défend la vie et le dynamisme d'une administration qui dépend en grande partie des possibilités de progression de chacun.
Alors, oui, il y a peut être des nouveaux parcours de carrière à inventer, à créer,
Alors oui, il faudra peut-être mettre en place de nouveaux dispositifs d'accompagnement, de formation, de reconversion,
Mais négliger ce volet serait une erreur manifeste qui ne produirait qu'aigreur et démotivation.
2. Refuser l'association des cadres à la réflexion relève simplement de l'amateurisme.
Toutes les grandes administrations ont des feuilles de route en terme d'association des cadres. Où est celle de la DGFIP ? Encore plus dans un moment de profonde réorganisation, la Direction générale a t-elle un plan pour associer des cadres qui ont démontré depuis plus de 10 ans leur capacité à s'adapter au changement ?
Il semble que la réponse soit bien négative et reflète ainsi un manque profond de reconnaissance.
3. Précipiter le calendrier mis en œuvre fait prendre un risque
Celui de ne pas répondre aux orientations découlant du grand débat national, et par voie de conséquence, mettre les directeurs locaux en difficultés vis-à-vis des préfets, des élus mais également des personnels.
4. Ecarter les contraintes informatiques est source d'aveuglement
Doit-on rappeler la précipitation de la mise en place de Fidji, le déploiement big-bang de SIRHIUS, les latences de Medoc WEB etc … ? Il serait donc incroyable que l'on parle de travail à distance (back-office, front-office) ou de multiplication des points de contacts, sans connaître les contraintes actuelles de l'informatique DGFIP.
La contrainte est une méthode qui engendre l'échec.
Cette réforme est la parfaite illustration de ce que nous dénonçons depuis longtemps, il faut revoir la conduite de projet à la DGFiP :
- associer l'encadrement et ne pas se replier dans une culture du secret dont on sait qu'elle ne fait qu'alimenter le fantasme,
- prendre en compte les autres administrations, l'aménagement du territoire et la réalisation des missions dans sa globalité. Les préfets tombent de leur chaise lorsque les DR/DDFiP vont les voir et leur annoncent qu'ils doivent rendre leurs projets d'implantation des services au printemps 2019 !
- planifier avec des cibles réalisables,
- tenir comptes des contraintes RH, informatiques, sociales, géographiques etc ...
Le résultat de tout cela est que les bureaux de centrales doivent gérer l'ingérable, les agents fantasment les potentielles réorganisations, les cadres sont laissés de côté alors que les directeurs vont devoir aller au « contact des préfets et élus » sans être appuyés par le DG ou le Ministre.
Pour le SCSFiP, l'ambition affichée par la DGFiP nécessite que les réflexions soient conduites dans la sérénité et étayées par l’ensemble des données utiles. Il est indispensable que des discussions soient engagées, des négociations organisées, afin de confronter les projets, d’examiner l’existence d’alternatives et de dégager des concessions réciproques. Dans le même temps un véritable travail d’expertise locale devra être mis en œuvre afin de collationner les éléments utiles à l’élaboration des projets que soumettraient alors les directeurs.
C’est pourquoi le SCSFiP demande un moratoire jusqu’aux conclusions du grand débat avant d'engager une réflexion concertée dans chaque département.
PS : nous invitons également les cadres à prendre connaissance du discours du président de la cour des comptes qui éclaire d'un jour nouveau la problématique de la responsabilité des comptables de la DGFiP.